Eric Craps / Philippe Seynaeve

   « Dialogues » #01

Dialogue : Entretien entre deux (ou plusieurs) personnes.

Du grec ancien δι?λογος - composé du préfixe « δι? » : « au travers, par, entre », et du radical « λ?γος » : « parole, raison, verbe ».

Philippe Seynaeve et Éric Craps se connaissent de longue date. Tous deux ont utilisé de nombreux médiums mais privilégient la photographie depuis quelques années. Si les deux écritures sont bien différentes, on retrouve de nombreux points communs dans les œuvres de l’un et de l’autre : un travail de composition très rigoureux, un intérêt particulier - quand il n’est pas exclusif - pour l’architecture, la quasi absence de la figure humaine sauf sous formes de traces, un temps figé… Au lieu de nous proposer une juxtaposition de leurs pratiques, une comparaison, ils ont opté ici pour un travail original à quatre mains.

Les deux artistes se sont immergés ensemble au cours des premiers mois de 2018 dans des lieux architecturaux bruxellois emblématiques (Canal, jonction Nord-Midi, Tours et taxis…) munis d’un Fuji instax mini. Cet appareil ayant l’avantage de permettre deux expositions successives avant de procéder au tirage, ils se sont systématiquement passé l’appareil afin de superposer leurs deux regards sur un même lieu. Ils ont donc dû à chaque prise de vue observer l’autre, projeter ce que voyait son viseur, comprendre son intention, et ensuite ajuster une image qui vienne compléter celle-là. Restent alors quelques instants d’incertitude, de complicité, le temps que l’image se révèle sur le papier.

Les deux gestes ont fusionné en une seule image, et révèlent le dialogue projeté entre les deux artistes. Chaque source de lumière, chaque reflet, vient découper ses formes claires dans les zones laissées sombres par l’autre.
Les vides viennent découper les pleins, les lignes parcourent les surfaces, l’endroit et l’envers se confondent. Si les lieux restent familiers, voire identifiables, nous sommes très loin d’une idée de reportage. La description du lieu n’importe plus tant que l’écriture elle-même. Le dialogue prime sur l’objet, la composition sur le sujet. L’imbrication dissout l’architecture et c’est l’image même qui devient architecturale.

Le format des œuvres, imposé par la pellicule argentique de quelques centimètres, impose un changement d’échelle radical entre le sujet et sa transcription. Le spectateur doit s’approcher physiquement de l’œuvre pour venir découvrir ce dialogue intimiste, chuchoté presque, entre les deux acteurs au sein de chaque image. La notion de dialogue reposant sur l’écoute de l’autre, sur la volonté de le comprendre et de partager avec lui, un dialogue d’instantanés pouvait sembler paradoxal, et évoquer des images cacophoniques. La précision de ce travail, qui laisse sa place au hasard mais n’a rien d’aléatoire, a au contraire permis ici l’émergence d’images d’une grande sensibilité qui mêlent avec force rigueur et poésie.

Charles Auquière